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Excerpt: Elles étaient seize

March 3, 2015
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By Linda Kay


Le pavillon canadien à l’Exposition de Saint-Louis cherchait à inciter ses visiteurs à s’établir dans les plaines de l’Ouest. Photo tirée de The Greatest of Expositions Completely Illustrated, Saint-Louis, Samuel Myerson Le pavillon canadien à l’Exposition de Saint-Louis cherchait à inciter ses visiteurs à s’établir dans les plaines de l’Ouest. Photo tirée de The Greatest of Expositions Completely Illustrated, Saint-Louis, Samuel Myerson Printing Co., 1904. | Photo courtesy of the Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Concordia journalism professor Linda Kay is the author of The Sweet Sixteen: The Journey That Inspired the Canadian Women's Press Club (2012, McGill-Queen's University Press). This is an excerpt from the French translation, Elles étaient seize (2015, Les Presses de l'Université de Montréal).
 

Le pavillon du Canada reçut une appréciation favorable dans toutes les dépêches de ces femmes journalistes. «Nos petits cœurs canadiens-français ont tressailli et un cri de joie s’est échappé de nos poitrines10 », écrivit Amintha Plouffe pour décrire le moment où elles aperçurent le pavillon canadien. «Notre chez-nous et pour nous souhaiter la bienvenue, chaque lettre du CANADA semblait s’animer et nous sourire. » Une vague de patriotisme les submergea à l’approche du bâtiment. «Tout ce que nous rêvions de ce côté, écrivit Marie Beaupré, nous l’avons trouvé avec quelque chose de mieux — l’élégance ajoutée au confort, la cordialité à la politesse. » D’aspect riant dans sa simplicité, et faisant un agréable contraste avec les édifices néoclassiques plus sévères qui l’entouraient, le pavillon du Canada les séduisit. « Il égaie d’un sourire le joli coin où on l’a niché», écrivit Anne-Marie Gleason.

Kate Simpson Hayes reconnut qu’elle avait eu des doutes sur ce pavillon avant de le visiter. Elle avait lu un article du Toronto Star qui parlait d’une bâtisse « laide et vulgaire ». Sans doute par exagération, pour ménager un effet, Hayes déclara qu’elle avait d’abord songé à l’éviter, jusqu’au moment où, à une table voisine dans la salle à manger du Inside Inn, elle entendit un homme commenter la participation canadienne à l’exposition. Elle se tourna vers lui et demanda si le Canada faisait bonne figure. «S’il fait bonne figure ? », répondit l’homme, un Américain avec un fort accent du Sud, « Je dirais, Ma’ame, qu’il nous fait perdre de 30 à 60 hommes vaillants tous les jours de la semaine, y compris le dimanche. » Parce que les terres étaient bien moins chères au Canada, raconta-t-il, beaucoup d’Américains en achetaient pour assurer la prospérité de leurs fils et de leurs filles. Il s’offrit ensuite à accompagner Hayes jusqu’au pavillon canadien, faisant montre de « cette rare courtoisie que vous trouverez chez tout homme du Sud bien élevé, qui demeure un parfait gentleman du chapeau aux talons ».

De fait, au dire de maints observateurs, la participation du Canada à Saint-Louis avait plus à voir avec une stratégie de recrutement qu’avec une simple présentation. Au fil des années, des milliers de colons en provenance des États-Unis avaient traversé la frontière pour profiter des promesses de transport gratuit et de terres bon marché qu’on leur faisait miroiter dans cette partie des Territoires du Nord-Ouest qui allait devenir, l’année suivante, les provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan. On estime que le nombre de ceux qui vinrent s’établir à cette époque variait de vingt à quarante mille par année. Selon un article de juillet 1904 du magazine National Monthly of Canada, tous les objets présentés au pavillon « étaient de peu d’effet en comparaison de l’attraction franche que suscitait [le pays] auprès de ceux qui pensaient aller s’y établir. Car c’est d’hommes avant tout dont le Canada a besoin, et c’est à attirer les hommes qu’il a sagement concerté ses efforts11. »

George Ham et Kate Simpson Hayes, dans leur travail quotidien au Canadien Pacifique, étaient bien au fait de cette campagne de recrutement. Ham avait judicieusement estimé que, pour attirer les hommes au Canada, il fallait aussi convaincre celles qui partageaient leur vie. Il espérait qu’avec leurs reportages sur l’exposition, les femmes journalistes contribueraient à cet effort de promotion.

Avantageusement situé, le pavillon du Canada était l’endroit idéal, avec sa grande véranda accueillante, pour faire une pause pendant la visite de l’exposition. Les visiteurs pouvaient pique-niquer sur les tables de la galerie qui l’entourait ou simplement s’y reposer dans des fauteuils. On leur offrait gracieusement un verre d’eau qu’ailleurs on faisait payer. Le pavillon du Canada offrait bien plus qu’une pause ou un rafraîchissement bienvenus, il présentait aux visiteurs « les vastes étendues et le potentiel » des terres du Dominion12. Dans le hall principal, des journaux canadiens étaient disposés avec art sur une table massive. Aux murs, une série de cinq tableaux, commandés par le gouvernement à l’artiste ontarien Paul Wickson, célèbre pour ses peintures de chevaux et de bétail, illustraient la vie dans l’Ouest canadien. De beaux spécimens de taxidermie donnaient à admirer des têtes d’orignal et de bison. Une carte du Canada, ornée de détails charmants, montrait l’immensité du pays, ses ressources minérales, son potentiel agricole.

À l’étage, on avait réservé un salon privé aux femmes journalistes qui y trouvèrent de quoi écrire. Le responsable du Service télégraphique McKay, M. Cunningham, un Irlandais qui, d’après Robertine Barry, parlait français «comme un de nous » et dont la femme avait étudié chez les ursulines de Québec, offrit d’envoyer gracieusement des dépêches aux familles et aux amis. «L’encre commença à couler et le Dominion fut inondé des messages les plus affectueux», comme l’écrivit Barry dans Le Journal de Françoise. Elle raconta à ses lectrices qu’un de ces messages causa une grande inquiétude quand il parvint en pleine nuit à Montréal. Réveillés par la sonnette de la porte, les occupants de la maison demandèrent à l’employé du télégraphe: «Qu’arrive-t-il? Qu’est-ce que ce bruit? Que nous veut-on?» En entendant que c’était un télégramme de Saint-Louis, leur première réaction fut d’imaginer le pire. «Et les cœurs sont serrés, déjà les pleurs se tassent au coin des paupières, rapporta Robertine Barry. “Allons, du courage”, fit la mère s’apprêtant à prendre connaissance du pli cacheté et les oreilles croyaient bientôt entendre […]: Elle est morte, priez pour elle! Au lieu de ces paroles de deuil, chacune put lire : “Je suis bien et je m’amuse beaucoup.” »


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