« J’ai trouvé ma place » : l’album de souvenirs des Noirs montréalais
Février marque le Mois de l’histoire des Noirs. Dans le cadre d’une recherche menée au Centre d’histoire orale et de récits numérisés de Concordia, le professeur Steven High et ses étudiants ont colligé les souvenirs des membres de la communauté noire de Montréal.
Ils ont fait entendre leurs voix
Au dernier trimestre, l’Union United Church (« église unie Union ») a proposé à 20 étudiantes et étudiants du Département d’histoire de Concordia de mener des entrevues d’histoire orale auprès de ses fidèles.
Située dans le quartier de la Petite-Bourgogne, la plus ancienne église de la communauté noire du Canada forme, depuis 1907, le cœur battant des Montréalais d’expression anglaise et d’ascendance africaine.
Dans le sous-sol de l’établissement, des membres de longue date de cette communauté de croyants ont répondu aux questions des étudiants. Pendant deux heures, ils ont fait entendre leurs voix dans la salle. Permettez-nous de vous présenter deux de ces interviewés.
« C’était plus fort que moi : il fallait que je danse »
Charles Griffiths a vu le jour en 1933 dans le quartier Saint-Henri. Baptisé à l’Union United Church, il assistait à l’école du dimanche dans la salle même où, en 2017, il revenait sur son passé.
À douze ans, il s’est mis à la danse à claquettes. Il s’exerçait à l’église – en secret, car son père n’approuvait pas cette activité. Mais ce dernier, bagagiste pour une société ferroviaire, travaillait à l’extérieur de la ville seize jours par mois... « Je profitais de ses absences pour danser », avoue M. Griffiths en souriant.
« Quand papa était là, je sortais par la fenêtre et je descendais tant bien que mal du deuxième étage en me tenant à un tuyau de gaz. Je récupérais mes chaussures de claquettes dans le hangar, puis j’allais danser. Au retour, je devais grimper par le même chemin pour atteindre ma chambre et aller dormir. C’était plus fort que moi : il fallait que je danse. »
Portée de la tradition orale et des récits des membres de la communauté
Les Noirs de Montréal ont des origines diverses. Nombre d’entre eux sont venus des États-Unis, d’autres ont émigré des Caraïbes et d’autres encore possèdent des racines canadiennes.
Mais cédons la parole à Nancy Oliver MacKenzie : « Je suis née en Nouvelle-Écosse, comme mes parents et mes grands-parents. Même mes bisaïeuls ont vécu en Nouvelle-Écosse. » Son arrière-arrière-arrière-grand-père, du côté des Oliver, s’est réfugié au Canada durant la guerre de 1812. Habitant jusque-là au Maryland, il fuyait l’esclavage.
Après ses études à l’Université Acadia, le grand-père de Mme Oliver MacKenzie est devenu pasteur. Lors de la Première Guerre mondiale, il a été le premier noir à être promu officier breveté par l’Armée canadienne. Détenant le grade de capitaine, il servait d’aumônier au sein du bataillon de construction, une unité formée d’hommes de couleur.
Arrivée à Montréal en 1967, Mme Oliver MacKenzie a commencé peu après à fréquenter l’Union United Church. « Là, j’ai trouvé ma place », nous a-t-elle confié. Ces dernières années, elle a effectué des recherches approfondies sur l’histoire de cette église. Dans la foulée, elle a réuni une collection de photos et les a présentées dans le cadre d’une exposition qu’elle a elle-même commissariée.
La plupart du temps, le pouvoir favorise la préservation du passé des uns et entraîne l’effacement de l’histoire des autres. Ainsi, la vie des Noirs est rarement évoquée dans les archives d’État classiques – d’où l’importance cruciale de la tradition orale et des récits des membres de la communauté.
Au Canada, les collections spéciales de la Bibliothèque de l’Université Concordia comptent parmi les rares sources archivistiques qui accordent une importance préférentielle à l’histoire des Noirs.
Si vous en avez l’occasion, furetez dans les dizaines de boîtes de matériel colligé par le Centre communautaire des Noirs, feuilletez les superbes albums de photos croquées sur le vif de Graeme Clyke ou écoutez des entrevues d’histoire orale mettant en vedette des fidèles de l’Union United Church et des résidents de la Petite-Bourgogne.
Ne l’oublions pas : l’histoire nous habite tous.