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HORIZONS STI(A)M : Cette étudiante de Concordia se sert de l’art pour réinterpréter la maladie

La doctorante Darian Stahl examine l’effet des interactions avec la technologie médicale sur la conscience de soi
19 mars 2018
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Par Kenneth Gibson


Darian Goldin Stahl


Darian Stahl est étudiante au doctorat interdisciplinaire en lettres et sciences humaines au Centre d’études interdisciplinaires sur la société et la culture de l’Université Concordia. Elle s’est en outre vu accorder récemment une bourse d’études supérieures du Canada Vanier.

La doctorante met à profit sa formation artistique pour réinterpréter la maladie. Par ses travaux dans le domaine émergent des sciences humaines appliquées à la santé, elle s’intéresse à la manière dont la conception du soi change chez une personne qui a vu des images médicales de ses propres organes, en particulier quand ces clichés saisissants sont accompagnés d’un diagnostic de maladie chronique.

Darian Stahl a obtenu le privilège de présenter ses œuvres dans des expositions en solo et en duo à Vancouver, à Calgary, à Ottawa et à Winnipeg. Elle a en outre prononcé de nombreuses conférences sur ses recherches et a exposé aux États-Unis, en Écosse, en Chine, en Slovaquie et en Égypte.

 

 

« J’espère démontrer ce que les arts peuvent apporter aux soins médicaux »

Quel est le rapport entre l’image ci-dessus et vos travaux à Concordia?

DARIAN STAHL : C’est une série de plans fixes tirés de mon projet d’imagerie vidéo intermittente représentant les effets d’une maladie auto-immune. La vidéo montre une sculpture de glace, la destruction subséquente de celle-ci, puis sa reformation.

Pour commencer, le cliché d’une colonne vertébrale obtenu par IRM est imprimé sur la surface d’un sac dont la texture s’apparente à de la peau. Ensuite, le sac de couleur chair est déposé dans un gros bocal Mason rempli d’eau, puis congelé. L’expansion de la glace fait éclater le pot de verre – c’est une allusion à la neuropathie qui atteint les extrémités, tandis le corps se retourne contre lui-même.

Quand la glace fond et que les éclats de verre se détachent, le cliché d’IRM à l’apparence de chair est exposé et ramené à la surface. L’image ainsi découverte se froisse et disparaît – signifiant la perte du pouvoir de l’image sur la psyché.

Comme geste final, le cycle en entier se reproduit à l’inverse. Le cliché, les éclats de verre et la glace sont reconstitués dans une forme qui semble celle d’origine – jamais complètement intacte, mais qui se tient d’elle-même. Je vois ce processus inverse, cette boucle sans fin de fonte et de regel, comme le cycle des rechutes et des rémissions qui caractérisent la sclérose en plaques.

Quels résultats attendez-vous de vos travaux? Et quels pourraient en être les effets concrets dans la vie des gens?

DS : Par mon travail, je souhaite proposer aux médecins et aux malades des possibilités de recyclage créatif des technologies d’imagerie médicale. Ces techniques procurent aux professionnels de la santé tous les renseignements voulus pour établir un diagnostic, mais elles ne disent rien sur la vie quotidienne de la personne atteinte d’une maladie.

En créant ensemble des œuvres d’art, nous pouvons accorder de l’espace et du temps aux discussions sur les répercussions de la maladie, une conversation qui n’aurait vraisemblablement pas eu lieu dans le cadre de l’horaire très chargé auquel doivent se contraindre les médecins.

En faisant ainsi se croiser les sphères des beaux-arts et de l’imagerie médicale, j’espère avoir un impact positif sur le patient et son sens de l’identité. Je souhaite du même coup amener le médecin à voir son patient comme un sujet irréductible plutôt qu’un objet représentatif.

Quels sont les principaux obstacles auxquels vous vous êtes heurtée dans vos travaux? Dans quels domaines vos travaux pourraient-ils être utilisés?

DS : Le plus grand défi de ma recherche réside dans l’acceptation et l’intégration des arts et des sciences humaines dans la sphère de l’enseignement médical. Bien que les sciences humaines fassent partie intégrante de l’enseignement de la médecine en Europe, l’Amérique du Nord accuse un retard dans la reconnaissance de leur valeur, ne serait-ce qu’au regard de la santé mentale, du sens de la communication et des capacités d’empathie des futurs médecins.

Ces compétences deviendront essentielles à la prestation de meilleurs soins aux patients, surtout au fur et à mesure que l’on introduira des traitements médicaux à distance ou plus avancés sur le plan technologique. De ma propre expérience, on envisage de financer les interventions en sciences humaines uniquement lorsqu’on peut prouver quantitativement qu’elles sont efficaces.

Ce type de modèle de financement axé sur les données ne s’accorde pas facilement avec l’approche qualitative propre à l’enseignement des arts – dont les bienfaits ne peuvent apparaître que plusieurs années après l’intervention ou encore, dans le cadre privé des échanges entre médecin et patient.

Par ailleurs, je crois que les écoles de médecine et les établissements de santé devraient employer des artistes et d’autres spécialistes de la création artistique pour mettre sur pied et enseigner des programmes de sciences humaines, au lieu de s’en remettre aux médecins, qui n’ont pas exactement les capacités requises pour assumer de tels rôles.

J’espère faire partie des chercheurs voués à la création artistique qui collaborent avec les établissements de santé, non seulement pour voir ce que la technologie médicale peut apporter aux arts, mais aussi pour montrer en quoi les arts peuvent contribuer aux soins de santé.

Quelle personne, quelle expérience ou quel événement particulier vous a donné l’idée de votre sujet de recherche et incitée à vous intéresser à ce domaine?

DS : J’ai commencé à m’intéresser au sujet en 2008, quand ma sœur, Devan Stahl, qui est aujourd’hui professeure adjointe d’éthique clinique à l’Université de l’État du Michigan, a reçu un diagnostic de sclérose en plaques à l’âge de 22 ans. Quand j’ai appris la terrible nouvelle (et après avoir assisté aux échanges dépourvus de sensibilité et de normalité entre ma sœur, le neurologue et les techniciens en radiologie), je suis allé puiser dans ma formation en beaux-arts pour l’aider à comprendre et à composer avec sa nouvelle identité de femme atteinte d’une maladie.

En transposant les résultats d’imagerie médicale de Devan dans un autre contexte par un procédé d’impression artistique, j’ai voulu humaniser les aspects anonymes et aliénants des clichés et aider ma sœur à reprendre le pouvoir sur son corps médicalisé.

Comment les étudiants en STIM que cela intéresse peuvent-ils se lancer dans ce type de recherche? Quel conseil leur donneriez-vous?

DS : Nous sommes privilégiés d’avoir dans la communauté de Concordia des gens qui s’investissent activement dans des projets interdisciplinaires qui chevauchent les STIM et les beaux-arts. Il existe une initiative, appelée Convergence, qui vise à établir des connexions entre les neurosciences et l’art, un programme de bourses, appelé FOYER, ainsi que des colloques comme l’Odyssée des sciences du CRSNG. Je recommande à tout étudiant ou étudiante qui s’intéresse aux approches interdisciplinaires de s’impliquer dans ces projets.

À mon avis, pour travailler en contexte d’interdisciplinarité, il n’est pas nécessaire d’être expert dans tous les domaines. Il suffit d’être ouvert à l’échange de savoirs spécialisés et de vouloir apprendre d’autres personnes qui expriment leurs connaissances de façon très différente. Ainsi, il devient possible de créer une équipe diversifiée capable de résoudre un problème de manière inédite.

Les membres des comités d’évaluation des candidatures aux bourses Vanier – ainsi qu’aux bourses d’études supérieures du FRQNT – s’intéressent beaucoup aux collaborations interdépartementales, parce que ceux et celles qui y participent savent imaginer des solutions innovantes.

Je suis constamment à la recherche de nouveaux collaborateurs en STIM. Si vous explorez de nouvelles avenues dans le domaine des techniques d’imagerie médicale, c’est certain que j’aurai envie de travailler avec vous, afin de voir si cette technologie est transférable dans la sphère des beaux-arts. Notre démarche commune pourrait aider à mieux comprendre les patients, c’est-à-dire les personnes qui sont les plus concernées par les résultats de ces tests d’imagerie médicale.

Dans les équipes interdisciplinaires, la technologie et le message vont de pair.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus à Concordia?

DS : J’ai choisi de mener mes recherches à l’Université Concordia parce qu’elle offre un programme avant-gardiste de doctorat interdisciplinaire en lettres et sciences humaines – le premier du genre en Amérique du Nord – lancé en 1973. Ce programme me donne la liberté de travailler dans trois disciplines à la fois, sous la direction de professeurs de renommée mondiale.

Mais, il y a une autre raison pour laquelle j’ai fait de Concordia mon premier et unique choix : l’excellence de ses installations en beaux-arts et de ses groupes de recherche interuniversitaire. Grâce au programme novateur de doctorat et à la supervision qui m’a été offerte, j’ai les meilleures conditions possible pour explorer les sciences humaines appliquées à la médecine et atteindre les objectifs que je me suis fixés.

Vos recherches bénéficient-elles du financement ou du soutien de partenaires ou d’organismes?

DS : J’ai eu le grand privilège d’obtenir une bourse d’études supérieures du Canada Vanier. Le programme de dotation de bourses Vanier s’adresse aux chercheurs interdisciplinaires qui poursuivent un doctorat au Canada, même s’il s’agit d’étudiants étrangers, comme moi. Grâce à ce soutien inestimable du gouvernement canadien, je peux consacrer tout le temps et l’espace nécessaires à mes recherches.

Apprenez-en davantage sur le Programme de doctorat interdisciplinaire en lettres et sciences humaines de l’Université Concordia.

Pour en savoir plus sur l’œuvre de Darian Stahl, visitez son site Web.



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