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Le grand déversement d’eaux usées à Montréal : une bonne gestion du message a permis de camoufler des problèmes sous-jacents, donne à penser une nouvelle recherche de l’Université Concordia

Une opération d’infrastructure routinière transformée en cirque médiatique recèle d’importantes leçons pour la gestion future des eaux
17 janvier 2023
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En politique municipale, il se produit parfois de ces concours de circonstances où un problème substantiel emporte dans ses remous un assortiment de personnalités hors-norme, suscitant une bonne dose d’humour scatologique et inspirant des perles aux rédacteurs de manchettes. Ce fut le cas lors du grand déversement d’eaux usées de 2015, véritable mine d’or pour les médias, qui s’en sont donné à cœur joie.

Cette année-là, la Ville de Montréal a annoncé que le réseau d’assainissement municipal nécessitait d’importantes réparations. Pour effectuer ces travaux d’entretien cruciaux, huit milliards de litres d’eaux usées devaient être déversés dans le fleuve Saint-Laurent sur une période de 70 heures à la mi-novembre. Le tollé – des écologistes, des amateurs de sports aquatiques, des résidents et des médias – a duré des mois. Néanmoins, après d’innombrables discussions en public et à l’hôtel de ville, séances photo du maire en combinaison de protection contre les matières dangereuses et prises de bec avec les autorités fédérales, de même que la formation d’un comité scientifique, le déversement a eu lieu comme prévu, sans entraîner d’effets délétères durables sur la santé du fleuve.

Malgré son étrangeté, l’anecdote a fourni un exemple concret de ce que Kregg Hetherington, professeur agrégé au Département de sociologie et d’anthropologie, appelle l’« entretien affectif ».

Dans un récent article publié par la revue Social Studies of Science, le Pr Hetherington et le doctorant Élie Jalbert décrivent l’entretien affectif comme un ensemble de pratiques « comprenant la disqualification des contre-argumentaires, les appels populistes qui réorientent les publics émergents ainsi que la déférence et la délégation aux experts ».

« On a pu voir l’administration du maire de l’époque, Denis Coderre, exercer cette approche en temps réel, relate Kregg Hetherington. Dans un premier temps, on a simplement déclaré qu’il n’y avait rien à voir et que tout allait bien, puis déployé des stratégies narratives connexes. Voyant que cela ne fonctionnait pas vraiment, on y est allé d’un discours populiste qui consistait à dire : “eh bien, maintenant que tout le monde s’intéresse aux égouts, c’est à tout le monde d’en assumer la responsabilité”. C’est là que M. Coderre est descendu dans les égouts en combinaison protectrice, pour s’afficher comme un homme du peuple plutôt que comme un technocrate distant. Or, la démarche a fait fiasco et inspiré une foule de mèmes scatologiques. S’en est suivi une série d’échanges avec la ministre fédérale de l’environnement, qui avait ses propres problèmes à régler, avant que ne soit enfin convoqué un comité d’experts pour nous dire qu’il s’agissait de la bonne chose à faire. » Cette consultation n’a pas enrichi la conversation, mais a dilué les critiques et permis à la Ville de gagner du temps jusqu’à ce que le travail se fasse et que le public passe à autre chose.

Portrait of Kregg Hetherington Kregg Hetherington: « Nous nous intéresserons beaucoup plus à nos égouts au cours des prochaines décennies ».

Ni vu ni connu

L’étude découle d’un projet amorcé par Kregg Hetherington en 2017 afin d’examiner les rencontres sociales des Montréalais avec l’eau.

« Le souvenir de l’événement était encore frais chez les gens, mais personne au sein de notre groupe ne comprenait vraiment ce qui s’était passé. Le projet de recherche visait donc initialement à approfondir cette histoire, qui s’est révélée pleine de personnages intéressants et ancrée de diverses manières dans la politique montréalaise », précise-t-il.

Le chercheur souligne que l’infrastructure d’une ville fonctionne le mieux quand la population n’y pense pas. Lorsque le public ouvre l’œil et s’en préoccupe, il s’agit rarement d’une bonne nouvelle pour les autorités municipales, surtout à Montréal. Incidemment, à l’époque du grand déversement, la commission Charbonneau concluait ses activités après avoir exposé une corruption systémique dans la gestion des contrats municipaux de construction.

Avec le recul, on peut voir dans cet événement une mise en garde quant à l’incidence future des changements climatiques sur le rapport qu’entretient Montréal – comme toute autre ville – avec l’eau.

« Nous nous intéresserons beaucoup plus à nos égouts au cours des prochaines décennies, avec l’augmentation des précipitations et des inondations, conclut Kregg Hetherington. Le grand déversement d’eaux usées représente à mon avis l’un de ces moments où certaines personnes ont pris conscience de la manière dont la ville est conçue et gérée. »

Ce projet a été financé avec le soutien du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

Lisez l’article cité : « The Big Flush of Montreal: On affective maintenance and infrastructural events[SA1]  »

 



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