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Fréquenter la Sir George Williams University quand on était noir : retour sur 1969

Souvenirs et réflexions du diplômé Leon Jacobs sur l’incident du centre informatique
28 octobre 2022
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Protestataires et personnes venues appuyer les étudiants. | Photo : Archives de l’Université Concordia
Protestataires et personnes venues appuyer les étudiants. | Photo : Archives de l’Université Concordia

Cinquante-trois ans après le tristement célèbre incident du centre informatique, je m’entretiens avec mon père, Leon Jacobs, qui me confie ses souvenirs de l’époque de ses études universitaires.

Leon Jacobs est aujourd’hui âgé de 80 ans, mais à l’hiver 1969, il a 27 ans et étudie au baccalauréat ès arts à la Sir George Williams University (SGWU), à Montréal. Aux côtés de nombreux pairs, il manifeste sa solidarité avec six étudiants antillais alléguant qu’un professeur a fait preuve de racisme à leur égard. Leon Jacobs prend part à plusieurs rencontres et consultations entre étudiants et représentants de l’Université. Par la suite, il se joint à des camarades de classe qui organisent une occupation pour protester contre la réponse de l’Université aux allégations.

En écoutant mon père parler, je réalise que les événements de 1969 ont assombri son expérience en tant que jeune étudiant noir et ont continué de l’habiter toutes ces années. C’est la raison pour laquelle, dans le contexte de la montée du mouvement antiraciste à l’échelle mondiale, il est si important que l’Université Concordia reconnaisse enfin ce qui s’est passé.

« Nous, les étudiants noirs, avons été blâmés et dénigrés. Alors oui, il était grand temps. »

Candace Jacobs : Quels sont tes souvenirs des événements de février 1969?

Leon Jacobs : J’ai pris part à l’occupation du 9e étage du pavillon Henry-F.-Hall (le centre informatique de l’époque). Une atmosphère de camaraderie régnait, et l’action nous apparaissait démocratique. J’y suis resté environ cinq jours. À un certain moment, la cafétéria de l’Université a cessé de vendre de la nourriture, et la faim a commencé à se faire sentir. Après avoir quitté les lieux de l’occupation, je me suis donc employé à solliciter les membres de la communauté montréalaise pour leur demander s’ils voulaient bien préparer des repas et les livrer aux protestataires. Un grand nombre d’entre eux ont accepté. Je n’ai pas oublié la générosité de ces personnes, et je me rappelle avoir pensé : « ces gens n’ont jamais pu récupérer leurs casseroles ».

Après le grabuge et l’arrestation de nos camarades, plusieurs d’entre nous se sont rendus au poste de police où nos amis et d’autres étudiants étaient détenus. Nous avons manifesté en brandissant des pancartes. Nous étions en colère. Nos amis étaient en prison et avaient besoin de notre appui. Nous avons donc fait des démarches pour obtenir les services d’avocats afin de défendre leur cause.

La carte d’employé de Leon Jacobs lorsqu’il enseignait à temps partiel à Concordia au début des années 1980. | Photo : Leon Jacobs La carte d’employé de Leon Jacobs lorsqu’il enseignait à temps partiel à Concordia au début des années 1980.

CJ : Qu’est-il arrivé au lendemain de ces événements?

LJ : Le climat était tendu sur le campus et aussi à l’extérieur de l’Université. Plusieurs de mes camarades de classe noirs ont eu de la difficulté à se trouver un emploi cet été-là et par la suite; ils étaient en quelque sorte stigmatisés parce qu’ils étaient noirs et étudiants ou diplômés de la SGWU.

J’ai obtenu un emploi à l’été 1969 dans une entreprise d’études de marché. Mon travail consistait à faire du porte-à-porte pour sonder les membres du public. Un jour, alors que je faisais remplir un questionnaire à une personne qui avait accepté de répondre à mon sondage, le père de cette personne est entré dans la pièce et m’a demandé où j’étudiais. Lorsque je lui ai répondu SGWU, il m’a ordonné de « foutre le camp de chez lui ». Je ne suis pas près d’oublier ça.

Leon et Candace Jacobs. | Photo : Candace Jacobs Leon et Candace Jacobs. | Photo : Candace Jacobs

CJ : Comme tu le sais, Graham Carr, le recteur de l’Université, a mis sur pied un groupe de travail sur le racisme contre les Noirs afin de répondre aux appels de la communauté de Concordia, dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, pour que des mesures soient prises afin d’enrayer le racisme contre les Noirs, historiquement ancré dans les pratiques institutionnelles. Le 28 octobre prochain, M. Carr présentera des excuses au nom de l’Université pour les événements qui ont eu lieu à la SGWU en 1969. Que penses-tu de cette initiative?

LJ : Je crois qu’il était grand temps que l’Université reconnaisse ce qui s’est passé – qu’il y avait réellement du racisme – et présente des excuses. Je me rappelle avoir cru, à un certain moment, que l’administration et les leaders étudiants en arriveraient à un accord. Nous avions de l’espoir! Puis, pour une raison quelconque, la police est intervenue et la situation a complètement dégénéré. Nous, les étudiants noirs, avons été blâmés et dénigrés. Alors oui, il était grand temps.

CJ : Je suis d’accord. C’est un moment fort et rempli d’émotion pour moi aussi, sachant que tu étais présent à l’époque et que tu as vécu tout ça. Merci infiniment de m’avoir fait part de ton point de vue sur cet épisode de l’histoire.

Leon Jacobs a obtenu son baccalauréat en sociologie (Honours) de la SGWU en 1970 et a poursuivi des études supérieures. Il a ensuite enseigné plusieurs cours à Concordia dans les années 1980 et 1990, puis a été professeur au collège Dawson jusqu’à sa retraite.

Candace Jacobs (B. Sc. 2002, M.A. 2007) est actuellement directrice intérimaire des communications institutionnelles à l’Université Concordia.


Apprenez-en plus sur le
groupe de travail du recteur de Concordia sur le racisme contre les Noirs.

 



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