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Le marketing des aliments « ethniques » est parfois aussi unique que les produits eux-mêmes, révèle un chercheur de l’Université Concordia

Jordan LeBel examine les différentes façons dont les tacos, la sauce Sriracha et la sauce soya ont gagné leur place dans les garde-manger canadiens
19 novembre 2019
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« Les entrepreneurs misent leur vie et leur gagne-pain sur leur produit; ils mettent donc tout en œuvre pour réussir », affirme Jordan LeBel.
« Les entrepreneurs misent leur vie et leur gagne-pain sur leur produit; ils mettent donc tout en œuvre pour réussir », affirme Jordan LeBel.

Aujourd’hui, alors qu’une bonne partie de notre discours politique porte sur des questions controversées comme l’identité, l’immigration et l’appartenance, les Canadiens ont tendance à opter pour des saveurs de plus en plus exotiques.

Les supermarchés d’ici allouent généralement un espace important aux aliments « ethniques ». Ce terme désigne une grande variété d’aliments, qu’il s’agisse de fruits comme les akées, de pâte de cari ou encore de nouilles de soba.

Selon Jordan LeBel, professeur agrégé au Département de marketing de l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia, le marché des aliments ethniques connaît une croissance annuelle de 14 % au Canada. D’autre part, 16 % des consommateurs canadiens achètent chaque semaine au moins un aliment ethnique. Et la demande ne risque pas de baisser.

Dans une nouvelle étude publiée dans Cuizine, la revue des cultures culinaires au Canada, le Pr LeBel et Marie Le Bouthillier, une de ses étudiantes aux cycles supérieurs, se penchent sur la question en examinant trois études de cas. Ils se concentrent sur les tacos, la sauce Sriracha et la sauce soya, ainsi que sur les méthodes qui ont rendu ces aliments si populaires.

Outre les goûts plus audacieux des consommateurs, les chercheurs ont relevé certains facteurs qui sous-tendent l’évolution et la popularité de ces aliments.

Du Texas au Momofuku

Les trois aliments étudiés ont connu leur essor grâce au travail acharné d’entrepreneurs du secteur de l’alimentation. La vie commerciale des tacos aurait débuté en 1880, à San Antonio, au Texas, lorsque des vendeuses de rue surnommées « Chili Queens », devenues mythiques aujourd’hui, les auraient proposés pour la première fois. Avant que Vincent Harrison ne lance la marque VH dans les années 1950, la sauce soya n’était pas très connue en Amérique du Nord en dehors des communautés est-asiatiques. Puis, en 1978, David Tran s’est établi en tant que réfugié vietnamien aux États-Unis, où il a bâti sa fortune sur sa propre sauce Sriracha. Aujourd’hui, environ 20 millions de bouteilles sont vendues chaque année.

« On voit que l’esprit d’entrepreneuriat a donné vie à ces aliments. Cette situation n’est pas rare chez les immigrants qui décident de commercialiser leurs propres produits alimentaires, affirme Jordan LeBel. Les entrepreneurs misent leur vie et leur gagne-pain sur leur produit; ils mettent donc tout en œuvre pour réussir. »

Un autre facteur important est la préservation de l’intégrité du produit. « Il ne faut jamais faire de compromis à ce chapitre », ajoute le chercheur.

La capacité d’un produit à bien s’intégrer à un mode de vie chargé et à diverses recettes est un autre facteur de croissance. Par exemple, les tacos sont simples et rapides à préparer, et créent une atmosphère conviviale, parfaite pour les repas en famille. Il est aussi possible d’utiliser la sauce soya et la sauce Sriracha dans des recettes familières.

Enfin, la stratégie globale de communication de l’entreprise est essentielle, et ce, même si les approches s’avèrent complètement différentes. Les tacos sont surtout devenus populaires grâce aux Chili Queens, mais c’est la marque Old El Paso de General Mills qui domine aujourd’hui le secteur dans les supermarchés. L’entreprise utilise un emballage audacieux et lance régulièrement de nouveaux produits pour rester attrayante.

Les marques de sauce soya comme VH et Kikkoman misent quant à elles sur les relations publiques ciblées et la publicité pour mettre en valeur le caractère polyvalent de leurs produits. L’entreprise Huy Fong de David Tran, de son côté, ne fait pratiquement jamais de campagne de marketing de masse. Elle se fie plutôt à l’appui de chefs célèbres comme David Chang, propriétaire de la marque et des restaurants Momofuku, et de ses clients, qui agissent à titre d’ambassadeurs.

L’authenticité

Bien sûr, la question de l’authenticité demeure complexe, particulièrement pour les gens très sensibilisés à ce qu’ils consomment. Les tortillas souples gagnent en popularité à mesure que les acheteurs délaissent les coquilles rigides produites en série d’Old El Paso. On remarque aussi que le goût de la sauce soya vendue au supermarché est bien différent de celui de la sauce qu’on trouve en Asie orientale. Seule la sauce Sriracha, affirme le Pr LeBel, est toujours « authentique ».

Malgré tout, le marché des aliments ethniques reste dynamique et continuera probablement de croître.

« C’est ce dont les consommateurs ont envie, souligne Jordan LeBel. En voyant ces produits sur les étagères, on a un peu l’impression de voyager, sans pour autant quitter la maison. On s’ouvre à quelque chose de différent et on découvre une nouvelle culture. Je ne veux pas mêler la politique à cette question, mais je trouve intéressant de voir un tel phénomène se produire dans les épiceries partout au Canada. »


Consultez l’étude citée : « Tacos, Sriracha et sauce soya : le marketing qui nous fait aimer ces aliments venus d’ailleurs ».



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