Compte de carcasses
Afin de déterminer à quel point les clôtures et passages à faune protégeaient efficacement les animaux de petite et de moyenne taille, l’équipe d’étudiants du professeur Jaeger devait d’abord établir le nombre de carcasses comptées sur la route.
Durant quatre étés, de 2012 à 2015, ils ont ainsi parcouru presque chaque jour en voiture le tronçon de 68 kilomètres (dans les deux sens) pour dénombrer les animaux morts. Ce chiffre était élevé, précise Jochen Jaeger. On comptait surtout des porcs-épics, mais aussi des ratons laveurs, des renards roux, des mouffettes, des lièvres d’Amérique, des écureuils, des marmottes communes, quelques castors et même deux lynx, ainsi que de nombreux autres petits mammifères comme des souris et des musaraignes.
En tout, l’équipe a recensé près de 900 carcasses, mais le professeur Jaeger croit ce chiffre est en réalité plus important.
Pour savoir combien d’animaux tués passaient inaperçus, Judith Plante a mesuré la probabilité de détection en comparant les résultats de deux équipes de recherche ayant séparément examiné la route pendant plusieurs mois. Elle a constaté que les équipes de repérage trouvaient seulement 82 pour cent des animaux de taille moyenne. Pour les plus petites bêtes, la probabilité de détection était encore plus basse : les données montraient que les observateurs voyaient seulement 17 pour cent du total de petits mammifères tués. Par ailleurs, on pense qu’un nombre inconnu d’animaux blessés s’éloignent de la route pour mourir sur le côté des chaussées.
D’après Judith Plante, auteure principale de l’étude qui travaille aujourd’hui pour une société montréalaise de conseil en environnement, « la plupart des gens ne remarquent pas les animaux tués sur les routes. Mes yeux sont tellement habitués à les compter que je repère facilement les carcasses. La majorité des conducteurs les voient si peu qu’ils ne réalisent pas l’ampleur du problème. »
Or, aussi surprenants que soient ces chiffres, Jochen Jaeger affirme qu’il est encore plus intéressant de voir où les carcasses se trouvaient.
« Nous avons examiné la mortalité routière dans trois types de zones : les espaces complètement clôturés, les zones situées près des extrémités des clôtures, et les zones éloignées des clôtures », poursuit-il.
« Nous avons découvert que la mortalité routière était plus importante aux extrémités des clôtures, ce qui signifie que certains des animaux s’éloignent des passages à faune et longent la clôture pour chercher une sortie. Lorsqu’ils la trouvent, ils essaient de traverser la route et risquent de se faire tuer. Par conséquent, les clôtures doivent être rallongées pour dissuader les animaux de les longer. C’est ainsi que nous arriverons à réduire la mortalité routière. »
Pour Judith Plante, il est possible également que la végétation qui sépare les routes donne une illusion de sécurité aux animaux et les influence dans leur décision de traverser. Ils s’aventurent alors à travers les deux premières voies où circulent des véhicules pour atteindre le petit espace vert, seulement pour se retrouver dans la même situation difficile d’avoir à traverser deux autres voies.
Davantage de clôtures et de passages à faune inférieurs et supérieurs
Jochen Jaeger souligne qu’il ne s’agit pas de la première étude à examiner l’effet des clôtures d’exclusion sur la mortalité routière des mammifères. Elle est cependant la première à étudier l’effet relatif aux « extrémités de clôture » sur les petits et moyens mammifères.
« Les ministères du transport se préoccupent surtout des gros animaux, comme les orignaux et les ours, car ils provoquent des accidents, alors que les petits et moyens mammifères n’en causent généralement pas – à moins qu’un conducteur ne donne un coup de volant pour les éviter », explique-t-il.
D’une manière ou d’une autre, les animaux vont traverser la route, poursuit le chercheur. Il est dans leur nature de se déplacer pour chercher de la nourriture, s’accoupler ou trouver un nouveau territoire. Il revient par conséquent aux êtres humains de réduire l’impact des routes et de la circulation sur les populations fauniques en rendant les traversées plus sécuritaires. Pour le professeur Jaeger, il y a tant de porcs-épics tués le long de la route 175 qu’il craint que cela ait une incidence permanente sur la population de cette espèce vivant près de la route. En effet, le taux de reproduction des porcs-épics est très faible et bien plus petit que celui d’autres mammifères de même taille : un couple de porcs-épics n’a qu’un bébé par an.
Pour assurer l’avenir et le bien-être des populations fauniques, les concepteurs de routes devraient à l’avenir intégrer diverses mesures telles que des clôtures avec passages à faune inférieurs, voire aussi parfois des passages supérieurs. En déterminant les zones où il y a le plus d’animaux tués, nous saurons où aménager les clôtures et les passages à faune pour qu’ils soient le plus efficaces possible.
« L’aménagement de passages inférieurs ou supérieurs est important, mais il est plus urgent de trouver avant tout des moyens de réduire le nombre d’animaux qui se font tuer sur la route », conclut Jochen Jaeger. Le nombre de routes sur la planète augmente rapidement, et beaucoup d’entre elles auront un impact sur les régions névralgiques pour la biodiversité. Tandis que nous assistons au début de la sixième extinction massive causée par les activités humaines, il est crucial de mettre en place des mesures d’atténuation appropriées pour préserver la biodiversité, en particulier dans les sites de biodiversité restants. Les résultats de l’étude peuvent aider à élaborer et à mettre en œuvre des mesures d’atténuation et seront donc utiles bien au-delà des frontières du Québec.
L’étude a reçu l’appui du ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports du Québec, récemment renommé ministère des Transports du Québec, ainsi que du Centre de la science de la biodiversité du Québec.
Consultez l’étude citée : How do landscape context and fences influence roadkill locations of small and medium-sized mammals?