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Technologie CRISPR : Messieurs, ce brevet nous appartient aussi!

À qui revient le mérite d’une percée capitale en génie génétique? En cette journée Ada Lovelace, la chercheuse de Concordia Alisa Piekny réexamine une controverse scientifique qui se poursuit.
10 octobre 2017
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Par Elisabeth Faure


En janvier 2016, Alisa Piekny – professeure agrégée au Département de biologie de l’Université Concordia – a décortiqué une controverse qui enflammait les milieux scientifiques.

Le débat concernait l’attribution du mérite de la découverte de la technologie d’édition génique CRISPR, dont le nom signifie Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats, c’est-à-dire « courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées ».

L’affaire a commencé lorsqu’Eric Lander, professeur de biologie au MIT, a publié un article dans l’éminente revue scientifique Cell sur l’histoire de la découverte de CRISPR. Or, « The Heroes of CRISPR » négligeait de mentionner que son auteur était impliqué dans une poursuite relative au brevet de cette technologie l’opposant à deux autres scientifiques, Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier, qui avaient joué un rôle majeur dans son développement.

Non seulement la communauté scientifique a-t-elle contesté cette absence de divulgation de la part d’Eric Lander (et de Cell), mais le chercheur a aussi été accusé de tenter d’effacer les femmes de l’histoire de CRISPR.

Les « héroïnes disparues de CRISPR » ont-elles repris la place qui leur revenait?

En l’honneur de la journée Ada Lovelace pour les femmes en STIM, la Pre Piekny réexamine le scandale ainsi que le degré d’égalité entre les sexes dans le milieu des sciences aujourd’hui.

« Les préjugés sexistes demeurent un problème en science et en technologie. »

Où en est la controverse au sujet de CRISPR aujourd’hui?

Alisa Piekny : La lutte en cours entre le Broad Institute et Berkeley pour le brevet de cette technologie continue de susciter la controverse. Le Broad Institute a récemment obtenu gain de cause en cour, ce qui pourrait avoir des retombées considérables pour de nombreux brevets subséquents, mais Berkeley a fait appel.

Une autre controverse qui attire l’attention, bien qu’elle ne soit pas vraiment nouvelle, concerne les effets hors cible de CRISPR. On ne saisit pas bien l’ampleur de ces effets, laquelle pourrait varier grandement selon la séquence employée, l’organisme, les enzymes, etc.

On reconnaît, je pense, que des effets hors cible peuvent se produire quand on utilise la technologie CRISPR. Dès lors, on peut y apporter des améliorations. C’est pourquoi les Pres Doudna et Charpentier ont mis en garde contre une utilisation trop rapide de cette technologie avant d’en comprendre véritablement les limites. Il y a en effet beaucoup de facteurs à prendre en compte non seulement en matière de sécurité, mais aussi d’éthique, surtout si l’on traite des humains.

Quand on vous a demandé quelle était votre réaction au sujet des « héroïnes disparues de CRISPR », vous avez répondu que vous n’étiez pas surprise. Qu’en est-il maintenant?

AP : Je continue de penser que la reconnaissance des contributions importantes au développement de la technologie CRISPR va plus loin, parce qu’elle souligne également le fait que nombre de femmes ont souvent vu leur apport à la science passer aux oubliettes. Il s’agit d’un problème qui remonte à des dizaines d’années, voire à des siècles.

Je crois qu’on s’efforce de reconnaître que le problème existe et de trouver des moyens de le combattre. Par exemple, j’ai parlé à plusieurs collègues qui participent à l’organisation de conférences et qui prennent soin d’être plus inclusifs quant aux personnes qu’ils invitent à présenter leurs recherches.

Les organismes subventionnaires semblent aussi réaliser qu’il existe un écart dans le financement accordé aux hommes et aux femmes, et tentent de faire en sorte que les évaluateurs reconnaissent leurs préjugés subconscients dans le processus d’examen.

Que révèlent selon vous ces enjeux sur la prédominance du sexisme en STIM?

AP : Je pense que les préjugés sexistes demeurent un problème en science et en technologie. La génération précédente est dominée par les hommes, et certains – ou beaucoup – n’affichent peut-être pas ouvertement de parti pris comme tel, mais privilégient simplement leurs « collègues et amis », dont nombre se trouvent être des hommes blancs.

Qu’est-ce qui doit changer selon vous pour que les choses s’améliorent?

AP : Les choses devraient changer avec le temps, à mesure que plus d’hommes et de femmes toléreront moins cette situation et dénonceront les préjugés les plus flagrants de leurs pairs et collègues. La responsabilité en incombe d’ailleurs davantage au sommet plutôt qu’au bas de la hiérarchie.

Le rapport Naylor a récemment été publié par un comité formé afin d’examiner la réussite – ou l’échec – de divers programmes de financement de la recherche au Canada. Il fait état d’un écart énorme dans le financement accordé aux hommes, aux femmes et à d’autres membres de groupes sous-représentés, notamment en ce qui concerne le programme des chaires de recherche du Canada. Le gouvernement fédéral a réagi en exigeant une transparence accrue dans le recrutement des chaires, les universités devant démontrer qu’elles s’efforcent plus activement d’engager des membres de groupes sous-représentés.

Nombre d’établissements, dont Concordia, ont ainsi créé des ateliers destinés aux comités de recrutement afin de les sensibiliser aux préjugés subconscients ainsi qu’aux moyens d’élargir le bassin de candidats et de faire preuve de plus d’équité dans leur évaluation.

Le problème que j’ai éprouvé en recrutant en STIM était de convaincre les femmes ou les membres de secteurs sous-représentés de poser leur candidature en premier lieu. Il revient aux universités de renforcer leur engagement aux échelons supérieurs, qu’il s’agisse de réévaluer leurs priorités, d’adopter une optique de rayonnement plus stratégique ou de prendre en compte de multiples facteurs qui peuvent contribuer à rendre un établissement plus attrayant.

La question à approfondir est celle des préjugés sexistes en STIM en général et de la lutte des femmes pour être reconnues dans les champs dominés par les hommes.


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Département de biologie de l’Université Concordia



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