Tel un chant de liberté, « le message politique occupait le devant de la scène »
Depuis le 29 juin et le lancement du 37e Festival International de Jazz de Montréal, le Quartier des spectacles de la métropole québécoise est redevenu « le » haut lieu mondial de la musique.
Depuis des lustres, Montréal entretient une relation fascinante avec le jazz. Cette histoire mérite que les festivaliers la découvrent, et ce, qu’ils assistent à une performance gratuite en plein air ou qu’ils savourent la musique d’un virtuose dans l’une ou l’autre des nombreuses boîtes de jazz de la ville.
Prenez par exemple le free-jazz, un style musical florissant à Montréal dans les années 1960 et 1970. Dans un numéro récent de la Revue d’études ouvrières canadiennes, Eric Fillion – doctorant au Département d’histoire de l’Université Concordia – s’est penché sur cette forme de jazz qui transcendait les genres et qui s’inscrivait dans un mouvement politique clandestin.
L’article de M. Fillion porte plus précisément sur les musiciens francophones qui ont créé le Quatuor de jazz libre du Québec. Communément appelé « Jazz libre », ce collectif gauchiste prônait la révolution et promouvait la démocratie culturelle au sein du prolétariat.
« Les membres de Jazz libre se sont approprié le free-jazz – un genre musical lié au nationalisme noir aux États-Unis, explique M. Fillion. Ils s’en sont servis pour faire avancer la cause d’un Québec socialiste et indépendant dans le cadre plus large de la lutte mondiale à la décolonisation. En effet, ils étaient solidaires des syndicats, des associations de défense des droits des femmes et du mouvement indépendantiste. »
C’est par l’intermédiaire de Tenzier, sa maison de disques sans but lucratif, que M. Fillion a découvert l’histoire fascinante de Jazz libre. « En 2011, j’étais sur le point de lancer un enregistrement inédit du quatuor. En parlant avec ses membres, je me suis rendu compte qu’au-delà de la musique, le message politique occupait le devant de la scène. »
Comment le free-jazz a-t-il pris une consonance politique?
« Pour Jazz libre, il s’agissait surtout de se débarrasser des chefs de musique de même que des structures harmoniques et rythmiques, précise M. Fillion. L’idée était de mettre à profit l’improvisation collective afin d’harmoniser la parole de l’individu et la voix de la communauté. Encouragé à exprimer sa créativité, le peuple se dotait de puissants moyens d’action. »
Si Jazz libre s’est dissous en 1975, son héritage demeure. « Le quatuor a joué un rôle clé dans la diffusion de messages politiques auprès de la jeunesse et de la classe ouvrière, affirme M. Fillion. De plus, il a ouvert la voie aux musiciens montants, qu’ils soient improvisateurs ou marginaux. » Le festival annuel Suoni Per Il Popolo illustre bien ce fait. À preuve, l’événement privilégie un répertoire éclectique d’œuvres expérimentales et une gamme variée de sonorités musicales.
Le collectif francophone ne s’est jamais produit au Festival International de Jazz de Montréal. Cela dit, ses membres au franc-parler faisaient l’unanimité au Québec, tant chez les idoles culturelles que chez les critiques musicaux. Ils ont grandement contribué à l’essor de la musique à Montréal. Nul doute, les milliers d’amateurs de jazz qui séjournent dans notre ville chaque année leur doivent une fière chandelle.
Écoutez une pièce enregistrée par Jazz libre en 1973.
Consultez la collection archivistique sur le jazz de Concordia; elle inclut notamment le Fonds Jean Préfontaine (cofondateur de Jazz libre).