Hors des réseaux et dans le néant
Dans le cadre de ses travaux à Concordia, en plus de passer des dizaines d’heures à interviewer d’anciens extrémistes, Ryan Scrivens – chercheur principal de l’étude – a préparé et compilé des centaines de questions d’entrevues menées auprès de divers intervenants, dont des militants communautaires, des universitaires et des responsables des autorités policières.
« L’opinion d’anciens adeptes est très utile, en ce sens qu’elle offre un compte rendu de première main des stratégies qui se sont révélées efficaces – ou inefficaces – pour favoriser leur désengagement de la violence extrémiste », fait remarquer le chercheur. « Elle permet en outre de faire la lumière sur les facteurs qui ont incité ces personnes à s’engager plus à fond dans l’extrémisme violent ou, au contraire, les en ont dissuadés dès le départ. »
Ryan Scrivens s’est entretenu avec dix anciens extrémistes – huit hommes et deux femmes, de partout au pays – qui étaient considérés comme étant « hors des réseaux », c’est-à-dire qui n’avaient jamais parlé publiquement de leur expérience.
« N’ayant jamais vraiment réfléchi à leur parcours de vie auparavant, ces personnes nous ont livré un témoignage à froid, et non un récit prédéfini qu’ils auraient créé au fil du temps », précise Vivek Venkatesh.
Selon Maxime Bérubé, de multiples facteurs contradictoires ont pu les inciter à s’engager dans cette voie. « Certains avaient vécu des expériences de victimisation, s’étaient sentis négligés ou encore, étaient à la recherche d’une identité ou d’un statut, et c’est ce que le mouvement extrémiste leur apportait. »
Toutefois, les chercheurs ont aussi noté des similitudes quant aux motifs de leur désengagement.
« Ils avaient vieilli, étaient en couple ou avaient des enfants, et ne pouvaient s’imaginer élever ou éduquer leur famille dans cet environnement », explique Vivek Venkatesh. « Ils étaient fatigués de la haine, épuisés, même. »
Après leur départ, plusieurs anciens membres ont dit avoir vécu une sorte de néant – coupés de leur ancienne vie, et pas encore pleinement intégrés dans la société ordinaire.
C’est à cette étape, insistent les chercheurs, que les stratégies de sensibilisation, de remise en confiance et de rétablissement des liens familiaux, amicaux et professionnels jouent un rôle plus que déterminant dans le processus de réadaptation des anciens extrémistes hors du cercle des groupes sectaires.