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« Le sentiment de « manque » peut être un élément déclencheur chez le consommateur », affirme Caroline Roux

Quand la recherche du « meilleur » fait ressortir le pire chez les consommateurs
6 décembre 2018
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Caroline Roux : « Les spécialistes du domaine connaissent depuis longtemps l’attrait et le pouvoir du marketing de rareté. »
Caroline Roux : « Les spécialistes du domaine connaissent depuis longtemps l’attrait et le pouvoir du marketing de rareté. »

La recherche du meilleur produit possible déclenche un état d’esprit de manque chez le consommateur.

Caroline Roux, professeure au Département de marketing, explore ce qu’elle appelle un « état d’esprit de maximisation ». Selon elle, cet état peut amener les consommateurs à mettre de côté leur attachement à l’honnêteté et à d’autres valeurs morales dans leur quête des meilleurs achats.

Roux a répondu à nos questions :

Votre recherche est axée sur les enjeux entourant le consommateurisme et la rareté des ressources. Comment ces phénomènes se manifestent-ils?

Caroline Roux : L’exposition à diverses évocations de la rareté des ressources ou à des signaux de « manque » constitue un élément déclencheur de l’état d’esprit de pénurie. Ce mode de pensée incite le consommateur à manifester un esprit de compétition plus vif et à agir de sorte à améliorer ses conditions de vie. Par conséquent, il aura tendance à adopter un comportement plus égoïste, voire malhonnête, dans l’objectif d’accumuler des richesses et, ainsi, d’atténuer son sentiment d’insuffisance matérielle. Par ailleurs, l’impression de « manque » engendre l’état d’esprit d’achat, qui pousse le consommateur à acquérir encore plus de biens de toutes sortes. Une telle attitude prend souvent la forme d’un consommateurisme accru.

Qu’est-ce qui cause ou déclenche ce sentiment de besoin chez les consommateurs?

CR : L’état d’esprit de pénurie, ou le sentiment de « manque », peut être engendré par des signaux marchands qui donnent au consommateur l’impression de percevoir un écart entre son niveau de richesses actuel et celui qu’il désire atteindre. Par exemple, une publicité posant la question « Avez-vous suffisamment épargné en vue de votre retraite? » peut l’inciter à réfléchir à sa situation financière, puis à lui faire accréditer l’idée qu’il n’a pas assez d’argent pour répondre à ses besoins actuels et futurs. Ou encore, le consommateur qui voit dans une publicité que l’article qu’il convoite fait l’objet d’une offre promotionnelle valide « pour une durée limitée » se demandera peut-être s’il aura le temps de saisir cette occasion. Dans la foulée, il peut ressentir qu’il manque de temps pour faire tout ce qu’il voudrait.

Dans un monde d’abondance, pourquoi créer délibérément un sentiment de pénurie?

CR : Parce que ça pousse le consommateur à passer à l’action! Les spécialistes du domaine connaissent depuis longtemps l’attrait et le pouvoir du marketing de rareté – achats en quantité limitée, promotions pour une durée limitée, nombre limité de produits offerts, éditions limitées, etc. – sur le comportement du consommateur. Dans leurs communications, des spécialistes en marketing intègrent, sciemment ou non, des signaux sous-tendant la pénurie. Ils le font parfois de bonne foi. Ainsi, ils utiliseront la photo d’un réfrigérateur ou d’un garde-manger vide pour encourager les gens à donner à une banque alimentaire. Ou encore, ils amèneront les travailleurs à s’interroger sur leur situation financière future, et ce, dans le but de les inciter à épargner davantage en vue de la retraite.

Fait important à souligner, les spécialistes en marketing sont tout à fait aptes à créer une impression de pénurie sur le marché. Ils y arrivent très facilement. En effet, la plupart des consommateurs ont de la difficulté à comprendre le concept d’abondance. Même si une part importante de l’humanité vit maintenant dans un monde d’abondance relative, l’histoire – le passé récent, même – est jalonnée d’épisodes de pénurie et de récits de rivalités pour l’acquisition de ressources. Bref, les consommateurs restent « programmés » pour répondre aux signaux, réels ou supposés, de pénurie. Bien sûr, les spécialistes du marketing ont tendance à en tirer parti.

Les entreprises utilisent-elles délibérément la notion de rareté des ressources comme tactique de marketing afin d’encourager la surconsommation?

CR : Malheureusement, oui. Les soldes du Vendredi fou et de l’Après-Noël en offrent d’excellents exemples. Les entreprises s’efforcent d’inciter le consommateur à acheter davantage, voire à se procurer des biens dont il ne veut pas vraiment ou dont il n’a pas besoin. D’ailleurs, les médias grand public parlent souvent d’entreprises proposant à prix cassé – et en quantité extrêmement limitée – un produit d’appel très convoité (par exemple, le tout nouveau iPhone), et ce, pour attirer le consommateur en magasin. Quand ce dernier arrive sur les lieux ou qu’il accède au site Web de l’entreprise, il découvre que l’article qu’il désire tant se trouve en rupture de stock. Le marchand tente alors de le convaincre de se procurer un produit de remplacement qui est, comme par hasard, en solde lui aussi. Cependant, la plupart des aubaines proposées lors de telles promotions portent sur des produits dont l’entreprise souhaite se débarrasser afin d’écouler son stock – des modèles désuets, par exemple. Du reste, ces articles sont souvent offerts à meilleur prix à d’autres périodes de l’année. Bref, le consommateur finit fréquemment par se procurer un produit qu’il ne désire pas vraiment ou dont il n’a pas nécessairement besoin, et ce, pour la simple raison qu’il se trouve dans un état d’esprit d’achat.

Au temps des Fêtes, quelles techniques comportementales le consommateur peut-il privilégier pour limiter la consommation de masse?

CR : Le temps des Fêtes se révèle fréquemment stressant pour le consommateur, qui a alors tendance à fixer son attention sur ce dont il ne dispose pas « en quantité suffisante ». Ainsi, il peut s’inquiéter de ne pas avoir les moyens d’acheter tous les cadeaux qu’il voudrait offrir, de manquer de temps pour effectuer ses emplettes des Fêtes et participer aux activités sociales auxquelles il est invité, de ne pas posséder l’énergie nécessaire pour effectuer son magasinage et rencontrer des gens parallèlement, de ne pas avoir assez de victuailles à la maison pour nourrir les invités imprévus, etc. Pour réduire ou briser le cercle vicieux que crée l’état d’esprit de pénurie, nous pouvons fixer notre attention sur ce que nous trouvons en abondance au temps des Fêtes. Par exemple, nous faisons provision de plaisirs gourmands, renouons et passons du temps avec nos proches ou profitons de nos congés pour nous reposer davantage qu’à toute autre période de l’année. Le consommateur peut lui aussi s’extirper de cet état d’esprit de pénurie en manifestant sa gratitude ou en se montrant reconnaissant pour les bienfaits dont il jouit (avoir un toit sur la tête, être entouré d’êtres chers qui se soucient de lui, etc.). Cette attitude l’amènera à réaliser que l’abondance est déjà présente dans sa vie.

Quels risques les ménages courent-ils s’ils ne modifient pas leurs habitudes de consommation?

CR : Le principal risque, c’est que l’état d’esprit de pénurie crée un cercle vicieux : au mieux, il aura des répercussions négatives sur le bien-être et le plaisir de vivre du consommateur; au pire, il nuira gravement à sa situation personnelle et financière. Par exemple, le consommateur ressentira du stress au temps des Fêtes s’il craint constamment de « ne pas avoir suffisamment » de nourriture, d’alcool, de décorations, de cadeaux, etc. Pour réduire son sentiment de manque, pour diminuer son stress, il sera tenté de se procurer davantage de biens : plus de nourriture, plus d’alcool, plus de décorations, plus de cadeaux et ainsi de suite. Par contre, il éprouvera de nouveau une impression de pénurie en janvier lorsqu’il recevra son compte de carte de crédit. Peut-être voudra-t-il alors se départir de son sentiment de manque en privilégiant une fois de plus la consommation, voire en agissant malhonnêtement dans l’espoir de récupérer des ressources – qu’il s’agisse d’ajouter des dépenses personnelles à sa note de frais professionnels ou encore d’« oublier » d’indiquer des sources de revenus dans ses déclarations fiscales.



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