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« On est tenté de tester les limites de Siri » : la doctorante Hilary Bergen examine nos interactions avec les assistantes numériques

Selon la chercheuse de Concordia, la manière dont nous traitons nos aides désincarnées peut avoir une incidence sur les femmes réelles
13 août 2018
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Par Daniel Bartlett


Peu de personnes connaissent l’application Siri d’Apple aussi intimement que Hilary Bergen.

L’étudiante de troisième année au doctorat interdisciplinaire en lettres et sciences humaines de l’Université Concordia s’intéresse à la présence féminine désincarnée dans les technologies. Ses recherches l’ont amenée à avoir de longues conversations avec Siri, durant lesquelles elle a enregistré les réponses de l’assistante numérique à une variété de questions.

« On est très vite tenté de tester ses limites, de flirter avec elle ou de voir si elle peut réagir aux insultes », affirme la chercheuse.

« Ces impulsions sadiques sont naturelles, mais alarmantes quand on pense qu’elles visent une interface féminisée. »

Les conclusions de Mme Bergen sont parues dans Word and Text  et lui ont valu le prix d’excellence en recherche aux cycles supérieurs de l’Université Concordia. Cette récompense de 1 000 $ est décernée deux fois l’an aux étudiants qui font montre de compétences exemplaires en recherche et qui sont en mesure d’expliquer leur sujet en termes simples.

Pour être admissibles, les étudiants des cycles supérieurs doivent avoir auparavant posé leur candidature au concours Étudiants-chercheurs étoiles qu’organise les Fonds de recherche du Québec, et publié leurs résultats de recherche dans les huit mois précédant l’échéance de soumission des candidatures.


Un manque de diversité

Dans ses recherches, Hilary Bergen soutient que la manière dont nous traitons les femmes virtuelles peut influer sur le comportement des gens envers les femmes réelles. Selon elle, cette affirmation fait parfois l’objet d’une certaine résistance lorsqu’elle décrit ses travaux à d’autres personnes.

« Siri n’est bien sûr pas une “vraie” femme – c’est un algorithme qui n’a pas de corps dans votre téléphone –, mais c’est aussi une secrétaire disponible 24 heures sur 24 pour tous vos besoins organisationnels et émotionnels », explique-t-elle.

« Si nos interactions avec les applis et les interfaces féminisées n’ont pas d’effet direct sur la façon dont on traite les femmes, elles normalisent au moins l’idée que les femmes sont plus adaptées à ces rôles. »

Mme Bergen n’a pas encore déterminé la part de stratégie qui entre dans les scripts de Siri ou des applications Cortana de Microsoft et Alexa d’Amazon. Elle pense toutefois que les statistiques d’un sondage réalisé en 2017 auprès des développeurs par le site Stack Overflow sont révélatrices.

L’étude concluait en effet que 89 pour cent des développeurs de logiciels du monde s’identifiaient comme des hommes, et que 75 pour cent de ceux-ci s’identifiaient comme étant de race blanche et d’un âge médian de 29 ans.

« Il existe un manque de diversité considérable au lieu de production qui joue sur le type de valeurs qu’on programme dans nos technologies quotidiennes », explique la chercheuse.

« Les développeurs qui programment Siri, Cortana et Alexa n’ont souvent pas le vécu d’une femme qui existe dans le monde. »


Une perspective unique

Avant de poursuivre ses études doctorales, Hilary Bergen a obtenu une maîtrise en littérature anglaise de Concordia. C’est durant cette période qu’elle a rencontré son superviseur principal, Darren Wershler, professeur agrégé au Département d’études anglaises.

« J’ai suivi un de ses cours et rédigé un bref essai sur la danse et la cinétographie Laban, se souvient-elle. Il m’a demandé si j’aimerais faire un doctorat, car il avait beaucoup de documents relatifs à mes champs de recherche, soit la danse, la technologie et la présence désincarnée. »

Le Pr Wershler, titulaire de la chaire de recherche de l’Université Concordia en médias et littérature contemporaine, affirme avoir encouragé Mme Bergen parce qu’elle pouvait selon lui apporter une perspective unique au domaine des corps cyborgs, ayant travaillé comme danseuse professionnelle à Winnipeg avant d’entreprendre son doctorat.

« L’enjeu exact est celui de l’incarnation et de la désincarnation. Qui peut être incarné? Qui doit être désincarné? », s’interroge le chercheur.

« Ces questions sont beaucoup plus faciles à explorer si vous y avez réfléchi non seulement d’un point de vue théorique, mais aussi sous un angle pratique en tant qu’athlète et artiste. »


Avatars d’idoles pop

Hilary Bergen travaille actuellement sur un projet au Centre de recherche TAG (technoculture, art et jeux). Elle utilise des séquences qui la montrent en train de danser la chorégraphie du vidéoclip de la chanson « Wuthering Heights » de Kate Bush afin d’animer un avatar dans MikuMikuDance (MMD), un logiciel d’animation gratuit qui permet de chorégraphier des corps virtuels.

Le programme est notamment connu comme outil d’animation tridimensionnelle de Hatsune Miku, un avatar devenu l’une des vedettes pop les plus célèbres du Japon. Miku se produit régulièrement à guichets fermés dans le monde entier sous forme d’hologramme.

« Je m’intéresse aux différents corps qui occupent l’espace dans ce projet – les avatars et les corps numériques, mais aussi les corps emblématiques comme celui de la vedette pop féminine. En utilisant des médias comme les logiciels Kinect et MMD, j’explore la façon dont la danse agit comme une traduction ou une transmission entre les corps », explique la chercheuse.

« La recherche interdisciplinaire comporte ses défis, mais elle est importante pour examiner des concepts comme le genre et la désincarnation dans les technologies et la culture contemporaine. J’ai beaucoup de chance d’avoir été subventionnée pour étudier ces questions. »


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bourses disponibles pour les étudiants des cycles supérieurs à Concordia.



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