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Il est important de reconnaître les erreurs commises par la société

OPINION : Le professeur Gilbert Émond commente l’effet boule de neige créé par un recours collectif de la communauté LGBT contre le gouvernement fédéral.
18 avril 2017
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Par Gilbert Émond


ls accusent le gouvernement fédéral de les avoir congédiés en raison de leur orientation sexuelle, ce qui leur aurait occasionné une perte de moyens de subsistance et de confiance en soi.

Le 1er novembre dernier, d’anciens fonctionnaires en Ontario et au Québec ont intenté un recours collectif de 600 millions de dollars pour congédiement injustifié et discrimination en raison de leur homosexualité. Quelque 9 000 personnes ayant travaillé pour le fédéral sur une période de près de 40 ans sont admissibles au recours, y compris les membres de l’armée.

La semaine dernière, le recours collectif lancé par la communauté LGBT a fusionné avec deux autres poursuites en dommages-intérêts déposées par des fonctionnaires et des militaires.

Depuis plus de 20 ans, Gilbert Émond, professeur agrégé de sciences humaines appliquées à la Faculté des arts et des sciences de l’Université Concordia, mène des recherches sur des enjeux liés au VIH-sida et à la lutte contre l’homophobie.

« Nous avons perdu ce que nous avions investi dans ces personnes »

Il est important de reconnaître les erreurs commises par la société et les traumatismes personnels que celles-ci ont engendrés en nourrissant les préjugés. Je crois que le gouvernement fédéral devrait d’abord s’excuser, puis imaginer une façon d’aider ceux et celles qui ont été traités injustement à recouvrer leur dignité.

Il n’est pas question ici d’accorder des millions de dollars par personne; je parle de services et de soutien. Il s’agit de traiter un état post-traumatique, lequel peut varier d’une situation ou d’une région à l’autre. Les personnes qui vivent à l’écart des grands centres et des hôpitaux pour anciens combattants, ou encore celles dont les besoins en matière de santé ou de soins psychiatriques ne sont pas comblés, peuvent nécessiter plus de services que d’autres qui habitent la grande ville.

Tous ces facteurs doivent être pris en compte et évalués attentivement. Pour la société canadienne, c’est un double échec, car le pays n’a pas profité des compétences professionnelles des victimes – il a perdu ce qu’il avait investi en elles – et maintenant, il doit payer pour aider ces gens qu’il a fait fuir.

« Il régnait une atmosphère de méfiance »

Cette histoire me touche personnellement. En 1980, j’étais tout frais sorti de l’université. J’ai décroché deux offres d’embauche comme fonctionnaire à Statistique Canada. Toutefois, si j’acceptais le poste, je savais que je devrais m’abstenir de révéler mon orientation sexuelle, car il y avait de la police dans les bars gais.

Même si cela faisait 10 ou 15 ans que l’homosexualité avait été décriminalisée, il continuait de régner une atmosphère de méfiance – parce que vous étiez une personne homosexuelle, la direction croyait qu’on pouvait facilement vous porter atteinte ou vous menacer et ainsi vous forcer à révéler des secrets gouvernementaux. L’idée était que vous étiez faible et vulnérable parce que vous étiez gai.

Au bout du compte, j’ai choisi un autre emploi ailleurs, à un meilleur salaire. À la base, c’était une décision guidée par les circonstances. Mais après mon expérience au gouvernement, je gardais un certain sentiment de réserve et je me disais : ne parle pas de ton passé ni de ta sexualité, car ton supérieur pourrait agir de façon discriminatoire contre toi. À l’époque, toute personne gaie au service du gouvernement savait qu’elle était étiquetée, fichée, surveillée. C’était la réalité. Les autorités gouvernementales portaient une attention particulière aux personnes homosexuelles. Et c’était avant le sida.

Dans les années 1990, un de mes amis était constamment testé pour le VIH, même quand il n’avait qu’un petit rhume. En fait, les médecins dans la marine ne savaient pas comment composer avec l’homosexualité. De l’invisibilité découlait une étiquette qui vous identifiait pour certaines choses et non pour d’autres. Vous receviez un traitement spécial parce que vous étiez gai. Je suis une personne spéciale, mais ça ne veut pas dire que je devrais être traité de manière spéciale sur le plan professionnel.

« Il est facile pour une personne LGBT de se sentir exclue »

En 1977, le gouvernement du Québec amendait sa Charte des droits et libertés de la personne de manière à interdire la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. C’était le premier gouvernement dans le monde à le faire. Plus récemment, les autorités provinciales ont mis sur pied un plan d’action et de sensibilisation. On a beau inclure officiellement les droits de la personne dans la loi et la constitution, si l’on ne change pas l’opinion des gens, on ne change rien.

La Loi était discriminatoire à l’égard des femmes en raison d’une notion voulant qu’elles ne puissent être mères et fonctionnaires en même temps. Nous avons modifié le système en conséquence. Maintenant, le gouvernement doit faire la même chose pour les membres de la communauté LGBT tout en saisissant à quel point la société discrimine. Par exemple, si elles n’ont pas d’enfants ni de famille, les personnes LGBT peuvent souffrir de surmenage intellectuel; mais parallèlement, les employeurs sous-estiment leurs capacités strictement parce qu’elles sont gaies. D’un côté comme de l’autre, ce n’est pas normal, et il est facile pour une personne LGBT de se sentir exclue.

La charte québécoise actuelle s’attaque à certaines de ces injustices. Dans le cadre de son plan d’action, le gouvernement provincial a passé en revue chaque engagement ministériel et procède actuellement à une deuxième vague de changements. Il y a donc raison de croire que les autorités gouvernementales font tout en leur pouvoir pour éliminer ces obstacles.

En ce sens, le Québec est un leader. Jusqu’à maintenant, le gouvernement fédéral actuel s’en est tenu à une présence au défilé de la fierté. C’est bien… Mais je dis au fédéral : Ne vous contentez pas d’être fiers… Faites quelque chose! Nous aimons votre message, mais nous préférerions que vous passiez de la parole aux actes.

« Aucun Canadien ni Canadienne ne devrait faire l’objet de discrimination »

Le Canada accueille des réfugiés LGBT, mais la préférence est accordée aux familles – des couples avec enfants. Cette attitude est hétérocentrique. Quel est donc le message qu’on envoie? « Si vous êtes gai, vous n’êtes pas bon pour nous. » Je vois des réfugiés qui pleurent dans ma cuisine, littéralement, parce qu’ils sont gais et qu’ils ont dû se marier contre leur gré afin de pouvoir immigrer. Ici, ces personnes ont trouvé un paradis auquel elles n’ont pas accès parce que leur communauté n’accepte pas leur situation. C’est pourquoi notre gouvernement doit dire « Non – aucun Canadien ni Canadienne ne devrait faire l’objet de discrimination en raison de son orientation sexuelle ».

Renseignez-vous sur le Département des sciences humaines appliquées de l’Université Concordia.

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